RN 116 Ille-Prades : Chronique d'un fiasco

L’avant-projet sommaire (APS) de mise à deux fois deux voies de la section Ille – Prades (14,685 km) a été approuvé par décision ministérielle du 14 juin 2006, pour un montant de 158,2 M€, ainsi répartis :

- 8,4 M€ pour les études ;
- 13,2 M€ pour les acquisitions foncières ;
- 136,6 M€ pour les travaux, comprenant 4 échangeurs, 12 ouvrages d’art, 3 ponts rail et 16 ouvrages hydrauliques. Un viaduc de 260 m est prévu au sud de Marquixanes.

L’enquête publique s’est déroulée du 11 décembre 2006 au 19 janvier 2007 et les conclusions du commissaire enquêteur en date du 26 février 2007, favorables, n’ont infléchi l’APS qu’à la marge.


Nous avons eu, F. CALVET (à l’époque Député de la 3ème circonscription), P. BLANC (à l’époque Sénateur) et moi-même beaucoup de difficultés à obtenir la signature du décret reconnaissant l’utilité publique (DUP) du projet, finalement signé le 16 juillet 2008 (JORF n°0165 du 17 juillet 2008 page 11395), après avis favorable du Conseil d’Etat.


Cette réticence m’a alors fait toucher du bois l’absence d’enthousiasme de l’administration centrale du ministère de l’équipement (devenu de l’environnement) pour ce projet. Je ne peux m’empêcher de rapprocher cette réticence de la volonté de ce même ministère de ne pas conserver la RN 116 dans le giron de l’Etat lors des débats issus de la loi de 2004 relatives aux libertés et responsabilités locales, qui a transféré près des deux tiers des routes nationales aux départements.


Il fallut in extremis l’arbitrage du cabinet du PM François FILLON pour que le décret soit signé et publié.


La bataille suivante allait concerner la programmation des financements. Elle est intervenu dans un contexte doublement difficile :
- nationalement, outre la crise des finances publiques, le Grenelle de l’environnement donnait clairement la priorité au rail sur la route et les enveloppes allouées aux investissements routiers étaient significativement réduites ;
- localement, nous ne pouvions compter, pour des raisons politiques, sur aucun co-financement de la Région et du Département, alors que la règle des cofinancements avait prévalu lors de la précédente génération des contrats de plan Etat-Région (cf. les travaux d’élargissement après le pont Séjourné, inaugurés à cette époque).


L’Etat avait choisi un nouvel outil pour ces investissements pour la période 2009 - 2014, le programme de modernisation des infrastructures (PDMI).


Le ministère, en dépit de plusieurs rencontres avec le secrétaire d’Etat aux transports (D BUSSEREAU, pourtant très bien orienté à notre égard) et le directeur de cabinet du ministre BORLOO, malgré une action concertée et permanente avec F. CALVET, nous n’avons pas obtenu l’inscription au PDMI de crédits pour les travaux.


Il faut dire que techniquement, la position du ministère était solide : il faut au moins 4 ou 5 ans après une DUP pour que les travaux puissent démarrer, non seulement pour conduire les études environnementales et loi sur l’eau, mais surtout parce que les acquisitions foncières, sur un linéaire de plus de 14 km, prennent nécessairement du temps (et souvent des procès).


Le compromis qui fut trouvé (lettre du ministre du 13 mai 2009) était raisonnable : étaient inscrits au PDMI en opérations prioritaires les études et les acquisitions foncières (pour 13 M€) et en opérations complémentaires la déviation de Marquixanes (50 M€, en deux tranches de 22 M€ et 28 M€).


A l’été 2009, à la faveur d’une réunion technique à Prades, la DREAL précise le chiffrage du projet :
- Déviation de Marquixanes : 43 M€
- Section Marquixanes – Prades : 45 M€
- Section Ille – Rodès : 39 M€
- Section Rodès – Marquixanes : 58 M€


Soit un total de 185 M€. De l’avis des ingénieurs, la section la plus difficile à réaliser est la section Rodès – Marquixanes, en raison de l’ouvrage ferroviaire après Rodès. Aucune réserve n’est alors émise sur la déviation de Marquixanes et sur son viaduc…

Au comité de pilotage de la RN 116 du 14 décembre 2009, le préfet des PO confirme les 13 M€ destinées aux acquisitions foncières, dont la DREAL sollicitera du ministère la délégation « au fur et à mesure des besoins » (lettre du Préfet de Région du 7 février 2011).


Le 23 septembre 2011, la DREAL précise ses estimations :
- Section Vinça ouest – Prades (incluant la déviation de Marquixanes), soit 6,3 km : coût estimé à 80 M€ valeur 2009. Les études environnementales se poursuivent et les acquisitions foncières peuvent débuter (500.000 € ont été délégués à cet effet à la DREAL) ;
- Section Ille –Vinça ouest, soit 6,7 km : 99 M€ valeur 2009. Les acquisitions foncières sont programmées pour 2013 ;
- Soit un total de 179 M€.


En février 2012, un document de la DREAL donne les mêmes chiffres et le même calendrier.


Dans l’intervalle, j’ai reçu à deux reprises à Paris (je suis alors en fonctions à l’Elysée) le Président de Région C BOURQUIN : l’objet de ces échanges est de nous accorder sur le financement du contournement ferroviaire Nîmes Montpellier (CNM). Un accord sera trouvé et scrupuleusement mis en œuvre. A cette occasion, j’évoque la 116 et le Président me fait part de son ouverture quant à la possibilité pour la Région de participer au financement de la phase travaux. Cet engagement sera tenu puisque dans le CPER suivant (2014 – 2020), négocié en 2013, la Région acceptera à nouveau de participer au volet routier du contrat de plan, contrairement au PDMI.


En 2012, 1,5 M€ sont délégués au DREAL pour les acquisitions foncières (lettre du Préfet du 11 octobre 2012), puis 1 M€ en 2013 (lettre du Préfet des PO du 8 avril 2013).


Un tournant majeur intervient en 2014 :
- En premier lieu, le nouveau contrat de plan Etat Région Languedoc-Roussillon 2015 – 2020, signé par le Premier ministre et le Président ALARY à Montpellier le 22 décembre 2014, s’il confirme le retour des collectivités locales au financement des routes nationales, ne prévoit qu’un petit million d’euros (pour des études –encore ! et non pour des travaux) pour la section Ille – Prades (sur un total de 1,2 milliard d’euros d’investissements publics pour la période concernée) ;
- En second lieu, la réponse du ministre VALLINI à une question du Député OLIVE le 2 décembre 2014, indique que le coût du projet est passé de 180 M€ à 300 M€. L’Etat explique que « l’intégration des contraintes techniques fortes (géotechniques…) et des nouvelles normes (sismicité, protection de l’environnement…) a conduit à une forte réévaluation du coût du projet » (document écrit de la DREAL du 17 octobre 2016).


En particulier, sur la section Vinça – ouest – Prades incluant la réalisation du viaduc prévu au sud de Marquixanes, le surcoût serait de 55,2 M€ ainsi répartis :
- 18.1M€ à la reprise du dimensionnement de la stabilité des talus de remblais et déblais de grande hauteur ;
- 12,9M€ à la reprise du dimensionnement et la mise aux normes des ouvrages d'art non courants (viaduc de Marquixanes, viaduc de Prades et viaduc de l'Ouléou) ;
- 13.2M€ à la reprise du dimensionnement hydraulique et des rétablissements des ouvrages d'art courants ;
- 11M€ à l'absence de somme à valoir pour les incertitudes liées à ce type de projet.


Pour la section Ille –Vinça ouest, le « dérapage » des coûts serait de 65 M€ (origine et détails non connus).


De deux choses l’une : ou bien toutes les études préalables (et Dieu sait s’il y en eu !) à l’APS et à l’enquête publique étaient « légères », pour ne pas employer un autre terme, et le ministère a consulté la population et a fait statuer le Conseil d’Etat et le Premier ministre en 2008 sur des bases complètement erronées, ce qui est très grave ; ou bien les réévaluations - conduisant à un quasi doublement du projet !- n’ont pas d’autre objectif que de pousser à l’abandon du projet, qui sera du reste annoncé par le Préfet des Pyrénées-Orientales lors du comité de pilotage de la RN 116 le 17 octobre 2016.


Personne hélas ne peut contester le durcissement permanent des normes, mais de là à revoir de fond en comble l’économie générale d’un projet, il y a de quoi douter profondément dans ce dossier du sérieux des services techniques de l’Etat.

On est de la même manière stupéfait d’apprendre que les études et procédures environnementales (dossiers techniques loi sur l'eau et dérogations relatives aux espèces protégées), financées dès le PDMI de 2009 et qu’il avait été demandé à de multiples reprises d’accélérer, n’ont été réalisées en version provisoire qu’en 2014 mais n’ont jamais été déposées auprès des instances compétentes par l'administration !


La stupéfaction est encore plus forte s’agissant des acquisitions foncières, pour lesquelles la totalité de l’enveloppe (13 M€) était inscrite à titre « prioritaire » dans le PDMI de 2009 et pour lesquelles 3 M€ ont été délégués par le ministère à la DREAL Languedoc Roussillon entre 2011 et 2013, puisqu’on sait aujourd’hui que des promesses de ventes ont été passées avec les propriétaires mais que l'Etat n'a pas donné suite et qu’elles sont donc maintenant caduques ! Seule une maison (maison Bolfa), située à l'entrée de Prades, a été achetée et démolie.
 

En conclusion, ce dossier nécessitait un portage politique fort et un suivi précis des actions de l’administration. A défaut depuis 4 ans d’un tel portage, ce projet a dérivé et son abandon a été annoncé par le représentant du Gouvernement.


Faut-il pourtant plaider encore et toujours pour l’indispensable modernisation de cet axe majeur, épine dorsale du département, enjeu essentiel pour l’aménagement et le désenclavement de nos territoires ?


Il en va du développement économique de la vallée de la Tet, du Conflent, du Capcir et de la Cerdagne. Il en va également de la sécurité des usagers de la route. Pour s’en convaincre, il suffit de se rapporter à la dernière étude SURE (Sureté des Usagers sur les Routes Existantes) réalisée sur la 116 et portant sur la période 2007 - 2011  : elle démontre que la section la plus fréquentée (Perpignan – Prades), qui est en 2x2 voies, est clairement moins accidentogène et que le nombre de morts et de blessés y est nettement moins élevé que sur le reste du parcours entre Ille et Bourg-Madame.