Jeudi 8 décembre dernier, en Séance au Sénat, a eu lieu l'examen de la proposition de loi constitutionnelle visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France.
En préambule à ce débat, le Premier Ministre, François FILLON, a tenu le discours suivant :
"Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
En inscrivant à l’ordre du jour de votre Haute Assemblée cette proposition de loi
constitutionnelle, vous invitez le Gouvernement à défendre sa conception de la citoyenneté
française et l’occasion m’est apparue suffisamment importante pour que je livre au Sénat mes
convictions.
Ce débat s’attache en effet, à l’organisation de notre République. Il s’attache à notre vision de
la France. Et pour moi, il n’y a pas de thème plus fondamental. C’est un débat où les clivages
n’obéissent pas nécessairement aux frontières partisanes, ce qui doit nous conduire à écouter
les arguments de chacun. Enfin, c’est un débat ancien et disons-le, c’est un débat récurent,
puisque depuis 1981 il ressurgit avant chaque élection, avant d’être inhumé aussitôt après.
Permettez-moi d’abord de dire un mot sur la méthode utilisée aujourd’hui. Je veux dire que je
la réprouve car elle crée un brouillage démocratique qui affaiblit la cohérence politique de nos
institutions. Je connais la tradition parlementaire qui veut que le Sénat reste saisi des textes
émanant de l’Assemblée nationale même lorsque celle-ci est renouvelée. Et je reconnais que
cet usage est utile pour assurer une certaine continuité de l’action législative. Mais, Mesdames
et Messieurs les Sénateurs, reconnaissez que cet usage n’est certainement pas conçu pour
exhumer une proposition de loi vieille de plus de dix ans. Depuis lors, l’Assemblée nationale
a été renouvelée deux fois et le Sénat l’a été dans son intégralité. Cette initiative n’a donc plus
le moindre lien avec la représentation nationale actuelle, ce qui pose un problème au regard de
la clarté démocratique. Je récuse donc la méthode employée, mais ce qui m’importe c’est de
vous livrer ma conception de la France parce qu’elle diverge de celle qui s’exprime dans cette
proposition de loi.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, depuis plus de deux siècles, depuis que la nationalité
française existe dans notre Droit avec le Code civil napoléonien, la citoyenneté en est
indissociable. De ce lien entre la nationalité et la citoyenneté découle celui entre la nationalité
et le droit de vote. Des cinq régimes républicains que la France a connus au long d’une
Histoire mouvementée, aucun n’a remis en cause ce socle de notre cohésion. Aucun n’a vu
dans son abolition une conquête ou un progrès légitimes. Parce que voter c’est participer à
l’exercice de la souveraineté nationale.
Parce que voter, c’est participer à la vie de notre République que notre Constitution définit
comme le Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Or, il n’y a qu’un peuple :
le peuple français. Comme la République, la citoyenneté française est une et indivisible, elle
n’est ni locale, ni nationale. Pour exercer la plénitude des droits civiques, un ressortissant
étranger doit faire le choix et se montrer digne d’acquérir la nationalité française.
La nationalité française ouvre des droits spécifiques. La qualité de fonctionnaire, pour
l'exercice de fonctions de souveraineté ou d'autorité, est réservée aux Français. On conçoit mal
que des ressortissants étrangers rendent la justice : au nom du peuple français.
La nationalité française comporte aussi des obligations particulières. On nous propose
aujourd’hui d’ouvrir une brèche dans cet édifice où s’équilibrent les droits et les devoirs, et
cette brèche ne peut que déstabiliser les repères. Le droit de désigner les conseillers
municipaux ou d’être élu au sein d’un conseil municipal ne serait plus un attribut de la
citoyenneté française. Au nom de quoi ? Aucune des raisons avancées ne justifie, à mes yeux,
ce travail de sape d’un des fondements de notre République.
On nous dit tout d’abord que les Français n’ont déjà plus le monopole du droit de vote et
d’éligibilité aux élections municipales, puisque les ressortissants de l’Union européenne en
disposent, sous réserve de la réciprocité et dans les conditions prévues par la Constitution.
Mais pourquoi avons-nous fait le choix historique d’élargir notre droit de vote aux
européens ? Parce que nous voulions qu’émerge une citoyenneté européenne ; Une
citoyenneté ancrée dans les traités ; sous le sceau d’un accord entre des pays qui ont
explicitement décidé d’établir les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les
peuples européens. Cet objectif d’unir nos peuples ne peut être avancé pour tous les étrangers
issus de pays certes amis, mais qui n’appartiennent pas à cette aventure collective qui
distingue l’Europe au sein du monde.
J’entends ensuite que la reconnaissance de ce droit aux étrangers non communautaires serait
nécessaire à leur intégration. Pensez-vous vraiment que c’est parce que vous votez ou que
vous pouvez voter, que vous êtes intégré ? Croyez-vous que les pays qui ont élargi leur droit
de vote aux étrangers aient résolu leurs problèmes d’intégration ? Qu’on songe au Royaume-
Uni ou aux Pays-Bas, où l’on voit que ce droit est loin d’apaiser toutes les difficultés liées à
l’intégration, qui dans ces sociétés sont aussi vives voire plus vives que dans la nôtre.
S’intégrer, c’est d’abord remplir des devoirs, avant de disposer de plus de droits. S’intégrer,
c’est s’insérer économiquement et socialement, c’est respecter, épouser, assimiler la culture
du pays d’accueil.
Pour moi, le droit de vote c’est la conséquence d’un parcours individuel. C’est
l’aboutissement d’un parcours d’adhésion à notre communauté nationale. Ça n’est pas une
condition et ça n’est pas un préalable. Au fond, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, cette
proposition prend les choses à l’envers.
Quitte à choquer certains d’entre-vous, je veux dire que c’est aux étrangers de faire l’effort de
s’ancrer dans la République parce que la République elle, elle fait tous les jours la preuve de
son ouverture.
L’honneur de la France, c’est de récompenser un chemin d’intégration par l’octroi de la
nationalité française. Ca n’est pas de récompenser l’étranger qui de façon somme toute légale
et légitime, travaille et paye ses impôts. Au demeurant, l’absence de droit de vote ne signifie
nullement que l’on soit privé de sa capacité à participer à notre vie sociale. Rien n’est plus
faux et plus injuste que de présenter notre pays comme fermé, suspicieux ou xénophobe. Les
étrangers qui le souhaitent peuvent participer à la vie de la cité, dans le cadre associatif, dans
l’entreprise, dans les comités de quartiers. Et d’ailleurs je ne peux que les y encourager parce
que c’est le signe d’une volonté d’intégration. A l’évidence, un étranger qui réside de longue
date en France, qui respecte nos lois et qui s’investit n’aura aucune difficulté à obtenir la
nationalité française. S’il ne le souhaite pas, c’est qu’il considère en son for intérieur, qu’il ne
se sent pas entièrement partie prenante du peuple français. Et dans ce cas, il est donc tout à fait
normal qu’il ne puisse pas désigner les représentants d’une collectivité de la République.
J’ajoute que le choix de devenir Français n’est pas exclusif. Notre patriotisme n’est pas fondé
sur les origines, il n’est pas sectaire, il admet parfaitement que chacun puisse conserver dans
son coeur plusieurs attaches. La personne qui devient française n’est pas contrainte de
renoncer, en tout cas pas automatiquement, à sa nationalité d’origine puisque notre droit
admet le cumul de nationalités. Il n’y a donc aucune forme de déchirement dans le choix
d’accéder à la nationalité française. Il y a là simplement, et cela est fondamental, l’expression
d’un désir d’être français.
Chaque année, plus de 130 000 personnes décident d’acquérir la nationalité française. C’est
pour eux, très souvent un moment important, un moment émouvant et un moment solennel.
Dans les nombreuses cérémonies d’acquisition de la nationalité française que j’ai présidées,
j’ai vu comme vous ce regard de joie, ce regard de fierté au moment où le document officiel
leur était remis. Eh bien cette joie, cette fierté, c’est un cadeau que leur fait la France en les
accueillant en son sein, mais c’est aussi un cadeau que ces étrangers font à la France en
rejoignant son destin. Cette proposition de loi ne rend pas justice à tous nos compatriotes qui
ont fait l’effort pour acquérir la nationalité française.
Ceux qui entreprennent la démarche de la demander disent souvent que l’une de leurs
motivations c’est de participer à notre vie politique. Cela veut bien dire qu’eux-mêmes
perçoivent et respectent le lien intime qui existe entre la citoyenneté et le droit de vote. Cela
veut dire qu’ils sont sensibles aux principes qui régissent l’existence de notre communauté
nationale. Pourquoi est-ce que nous devrions renoncer à cette donnée que les étrangers sont
les premiers à ressentir comme importante ?
Mais il y a plus grave que cela. Dissocier le droit de vote de la nationalité française, c’est
prendre le risque de communautariser le débat public. Nous perdrions beaucoup si nous
voyions fleurir des listes de candidats se réclamant de leur nationalité étrangère pour briguer
des voix. Il n’est sans doute pas de pire ferment du communautarisme que l’onction du
suffrage universel donnée à des candidatures qui seraient tentées de miser sur leur caractère
ethnique. Je reconnais qu’il n’y a là rien d’automatique à cela, mais je ne suis pas prêt à en
courir le risque.
Alors, on me rétorque, on me rétorquera que ces personnes payent leurs impôts et des
cotisations en France, et qu’il est donc normal qu’ils puissent décider de l’utilisation qui en
sera faite. Eh bien je vous le dis, ça n’est pas ma conception de la citoyenneté. Et pour tout
dire, cette vision censitaire et finalement utilitariste de la participation démocratique, me
parait choquante. Pour faire fonctionner nos services publics – dont tout le monde bénéficie, y
compris les ressortissants étrangers – il est naturel que tous ceux qui en ont les moyens
payent des impôts pour les financer. Participer aux destinées d’une collectivité publique ou
désigner ceux qui en seront chargés, cela n’a rien à voir. Une commune, ça n’est pas une
entreprise dont on serait actionnaire en payant ses impôts. En clair, le droit de vote ne s’achète
pas, il ne se gagne, il se gagne seulement par la volonté du coeur et de l’esprit.
Cet argument qui met en valeur la contribution économique des étrangers pour légitimer leur
droit de vote, se heurte à une profonde contradiction. Pourquoi le réserver aux communes ?
Les impôts locaux bénéficient aussi aux départements et aux régions. Alors pourquoi n’avezvous
pas proposé d’ouvrir le droit de vote aux cantonales et aux régionales ? Allons plus loin
dans l’absurde : Les étrangers payent à l’Etat la TVA et souvent, l’impôt sur le revenu. Faut-il
leur donner le droit de vote aux élections législatives pour qu’ils puissent décider de l’usage
qui en sera fait ? De proche en proche, avec un tel raisonnement, c’est la citoyenneté française
qui disparaîtrait.
Alors certains en appellent aux exemples étrangers pour justifier leur proposition. Que nous
montre cette comparaison ? C’est qu’il n’y a pas de modèle unique, et c’est que chaque Etat se
détermine en fonction de son Histoire mais surtout en fonction de sa propre conception de la
citoyenneté, celle qu’il croit la mieux à même de garantir la cohésion nationale.
Les Allemands, les Autrichiens, les Italiens ont fait le même choix que nous. Les Britanniques
n’ont ouvert ce droit qu’aux ressortissants du Commonwealth, en raison de leur Histoire
commune. Et même dans les pays souvent mis en avant par les tenants du droit de vote des
étrangers, les situations sont extrêmement diverses. Droit de vote sous réserve de réciprocité,
c’est le cas de l’Espagne et du Portugal. Droit de vote sans éligibilité, c’est le cas de la
Belgique. Droit de vote assorti de conditions strictes d’accès à la nationalité, en particulier un
droit du sol extrêmement restrictif voire inexistant, c’est le cas des Pays-Bas, de la Suède, de
l’Irlande, de l’Espagne encore.
La France se distingue par un droit de la nationalité ouvert, avec une large place accordée au
droit du sol et une naturalisation possible à partir de cinq années de résidence régulière. Nous
avons toujours veillé à préserver ces équilibres. Le Gouvernement a seulement entrepris de
renforcer les exigences qui dépendent de la motivation et de la volonté des postulants, à savoir
l’intégration et la maîtrise de la langue française.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, pour l’accession à la nationalité, nous sommes selon
les années, le 1er ou le 2ème pays derrière le Royaume-Uni en valeur absolue, loin devant
l’Allemagne. Rapporté à la population étrangère, le nombre d’acquisitions de la nationalité est
en France supérieur à ce qu’il est dans la plupart des pays qui ont ouvert le droit de vote aux
étrangers. Voilà la réalité. Elle est loin des caricatures dans lesquelles certains se complaisent.
Enfin, on nous nous oppose l’argument selon lequel les élections locales seraient d’une autre
nature que les élections nationales. Je vous dis que ça n’est pas ma conception de la
République et de son organisation. Pour moi, les collectivités territoriales ne sont pas
dissociables de l’Etat et de la Nation. Il n’y a pas d’un côté la gestion locale et de l’autre la
gestion nationale. Les deux forment des entités politiques, avec des enjeux politiques qui sont
loin d’être anodins ! Les collectivités territoriales de la République participent aussi à
l’expression de la souveraineté nationale. Une compétence est décentralisée lorsque le
Parlement estime qu’il s’agit du meilleur échelon de décision publique. Mais ce n’est pas
parce qu’une compétence est décentralisée que les étrangers devraient mécaniquement être
admis à participer à son exercice. Pour moi, les élections municipales sont des élections
politiques pleines et entières ; elles sont d’une essence différente des scrutins professionnels,
universitaires ou sociaux.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, je suis venu vous exprimer mon opposition à cette
proposition de loi, au nom des enjeux qu’elle reflète et qui d’une certaine manière la
dépassent. Qu’est ce qui est en jeu ? C’est notre relation à la France. C’est notre unité. C’est
notre égalité devant nos droits et devoirs. Face au relativisme, face à l’individualisme, c’est un
combat qui n’est jamais gagné. Nous ne devons pas être naïfs. Nous savons qu’il existe dans
notre pays des ferments de division. Et comme vous tous ici, je ressens honte et colère lorsque
je vois la Marseillaise sifflée. Je ressens de la tristesse lorsque notre pays est moqué. Et je suis
inquiet de l’expression radicale des appartenances ethniques ou religieuses. Tous ces
comportements sont les signes d’une société qui a besoin de raffermir ses repères historiques,
civiques et moraux. Et dire cela, ça n’est pas assouvir je ne sais quelles obsessions passéistes.
La France n’a jamais cessé d’être en mouvement, et toute son Histoire est tendue vers
l’objectif d’un rassemblement qui n’est jamais allé de soi. Depuis dix siècles, la volonté d’unir
nos différences et de nous forger un destin collectif s’est imposée sur nos particularismes et
sur nos vieux penchants pour la division. Transcendant nos provinces, nos origines, nos
religions, nous sommes depuis le début, une nation fondée sur la volonté d’être précisément
une nation. Et plus que cela, nous sommes devenus une nation de citoyens. Ce qui au
demeurant, nous impose plus de devoirs que de droits ; plus de civisme que d’égoïsme et plus
d’adhésion que d’indifférence.
Depuis le fond des âges, la France a accueilli et assimilé des générations d’étrangers qui ont
apporté leur concours au développement de notre pays. Il est naturel de vouloir que nos
valeurs soient les leurs et il est généreux de leur offrir la possibilité d’entrer pleinement dans
notre famille nationale. Nous sommes une nation d’intégration, nous ne sommes pas une
nation mosaïque. Et l’intégration signifie que l’étranger qui veut fondre son destin personnel
dans notre destin collectif, adopte la France et que dès lors, la France l’adopte comme l’un des
siens. Mais pour qu’il y ait intégration, encore faut-il que l’étranger qui rejoint notre
communauté nationale sache et sente que cette communauté est animée par une foi commune.
Et cela, c’est un message pour nous ; peuple français qui avons trop souvent l’art de nous
dévaloriser, de nous déprécier alors que nous avons tellement d’atouts et si souvent, tant de
noblesse dans nos élans.
En République, l’amour de la France et le service de la France ne relèvent pas d’une doctrine
d’Etat. Chacun est responsable de ce qu’il reçoit et de ce qu’il donne à la nation. Chacun est
porteur d’un héritage historique et culturel qu’il se doit de respecter et de prolonger avec
fidélité et courage. Cette exigence est valable pour les Français qui sont les premiers
concernés par le sort de la nation. Mais elle l’est aussi pour les étrangers qui nous rejoignent.
Pour eux comme pour nous, être Français ou choisir de devenir Français, c’est adhérer à un
pacte.
Avec cette proposition, la gauche s’engage dans une voie dangereuse avec légèreté. Elle prend
le risque de vider la nationalité et la citoyenneté française de leur substance. Et cela, au
moment précis où notre pays doit faire face aux épreuves de la mondialisation et doit donc se
rassembler autour de ses valeurs et de ses objectifs.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Les Français ont besoin de repères clairs et stables. Fractionner le droit de vote, c’est prendre
le risque de morceler notre pacte national. C’est prendre le risque d’affaiblir l’intégration.
C’est prendre le risque de sectionner l’un des chaînons de l’unité républicaine. Voilà
pourquoi, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, nous devons tous ensemble veiller à protéger
l’un des principes de la République française : Pas de vote sans citoyenneté et pas de
citoyenneté sans adhésion à la Nation."